Une rencontre partculière

En ce mois de septembre, la canicule était encore présente dans le sud de la France. Le soleil rougissait mon visage, et une transpiration des plus importantes se faisait ressentir. Je regarde l'heure : 13h45. J'ai cours dans une demi-heure. Je vais sans doute être encore en retard : ma faculté est située dans le quartier Thiers, près de la gare. Je suis étudiant en lettres, parmi tant d'autres jeunes gens. La poésie étant mon style préféré, j'écris souvent en alexandrins et en rimes embrassées. Il paraît que je suis assez doué, que j'ai du talent. Mais bon, je ne suis qu'un simple disciple. Victor Hugo n'a t-il pas dit qu'  « un poète est un monde enfermé dans un homme » ? Il m'est avis que c'est la vérité. 13h55, et je ne suis même pas à la Place Masséna. Je soupire, en laissant évader mon esprit dans cette torride chaleur. Je commence un petit poème, en octosyllabes, pour changer un peu de registre et me détendre comme je le peux. En arrivant au coin de la rue Rossetti, je ferme les yeux et m'évade entièrement. Soudain, un coup me fait sortir de mes rêves. Je ne trébuche pas, mais j'aperçois une jeune fille chuter sur moi, ce qui me déséquilibre et je tombe assez violemment sur le dos, la jeune fille avec moi. Il ne manquait plus que ça, cette journée est vraiment mauvaise.

Je ne peux plus détourner le regard. C'est comme si cette personne, qui est en position très inconfortable sur moi, était en train de m'hypnotiser. Je scrute ses yeux. Je dirais même plus que ses yeux m'emportent avec eux, comme si j'étais à l'intérieur, prisonnier de son regard. Mes membres sont bloqués par ce regard intensément profond. Ses yeux sont sûrement les plus beaux, les plus mystérieux, les plus... Aucun superlatif n'est suffisant pour les décrire tellement ils me passionnent. J'arrive désormais à discerner leur couleur. Bleu-vert. Mais ce n'est pas un bleu-vert classique, non, loin de là. Le bleu me fait penser à la mer qui borde ma ville : un bleu légèrement clair, légèrement azur. Le vert, quant à lui, me fait penser à une émeraude, une pierre si précieuse qu'il est si difficile de trouver. Le mélange donne ce bleu-vert si sublime, si envoûtant. Je ne remarque que maintenant qu'elle a des lunettes : elles sont tout à fait classiques, mais elles mettent en valeur ces magnifiques yeux perçants. Je cligne des yeux une fois, et j'arrive enfin à regarder autre chose que ses yeux. La jeune fille possède des cheveux châtain clair, assez longs, qui tombent sur son visage. Elle possède une peau très blanche, comparable à celle d'un ange. De très légères tâches de rousseur viennent délicatement se poser sur ses joues rougies. Elle porte un haut blanc. On ne peut faire plus banal, mais ce haut lui va à ravir. Comme aurait dit ce cher Arthur, « je est un autre » pendant que je suis possédé par cette beauté. Je remarque que des livres sont étalés sur le sol. Elle a sûrement dû les faire tomber lors de sa chute.

Il a dû s'écouler seulement quelques secondes depuis la chute, mais il m'a semblé que j'ai été plongé dans ses yeux une éternité. Lorsque je m'apprête à ouvrir la bouche, le son mélodieux de sa voix parvient à mes oreilles. Elle vient seulement de s'excuser et me demande si ça va, mais j'ai l'impression d'entendre les plus belles paroles jamais prononcées par le genre humain. Plus beau que « Veni, vidi, vici ». Plus beau que « Cogito ergo sum ». Plus beau que « Delendo Carthago est » (Oui, je suis amateur de littérature antique). Je ne parviens qu'à sourire bêtement et seul un petit « Oui » sort de ma bouche. Elle me rend mon sourire, ce qui me fait fondre. Jamais un bonheur si soudain et si puissant n'avait touché mon cœur. Ce sentiment me fut assené tel un coup de massue, tel une flèche en plein cœur. Mais pourtant, cette fille avait tout l'air d'être normale. Elle se relève, et commence à ramasser ses livres. Encore engourdi, je ne réalise pas ce qui vient de se passer. Je l'aide à ramasser ses livres. Toujours groggy et sonné, un frisson intense me parcourt lorsque nos deux mains entrent en contact. Je la vois bredouiller un « merci » en rougissant, puis elle s'en va. Et moi, je me retrouve tout seul, Rue Rossetti, en retard pour mes cours. Comme si la vie reprenait son cours, après une brêve mais intense ellipse.

Je suis enfin arrivé à la faculté de lettres. Je dispose d'une heure sans cours, où j'ai l'habitude d'aller me reposer au parc d'à coté seul ou avec mes amis. Mon meilleur ami Max n'est pas là, j'en profite pour commencer ma méditation, me servant à trouver mon inspiration. Cela fait trois heures depuis que cette fille m'est tombée dessus, dans tous les sens du terme, et elle n'a pas quitté mon esprit et mes pensées. Il fait toujours aussi chaud, et malgré l'ombre que me procure le peuplier auquel je suis adossé, je me sens en ébullition.

Je jette un œil au parc : par ici des enfants jouent au ballon, par là un couple s'embrasse... Et ici, une jeune fille lit. Sauf que ce n'est pas n'importe quelle jeune fille. C'est LA jeune fille, celle de ce midi. Mon cœur ne fait qu'un bond et je décide d'aller la voir. Parfois, je me dis que ma témérité me jouera des tours. Lorsque j'arrive à ses cotés, elle me sourit et nous commençons à engager la conversation.

Ainsi, elle était très bavarde. Croyez-le ou non, elle m'a raconté un nombre immense de détails sur elle. Elle aussi étudie à la faculté. Les livres qui sont tombés tout à l'heure sont d'ailleurs des recueils d'auteurs français très connus. J'appris qu'elle avait une sœur, comme moi, qu'elle aimait faire plein de choses dans sa vie, dont écrire. C'est là qu'elle m'a montré ses œuvres : elles sont tout simplement parfaites. Bien meilleures que mes petits poèmes, qu'elle a cependant beaucoup appréciés. J'appris également qu'elle voulait devenir journaliste, ce qui m'enchanta. Je ne savais pas pourquoi, mais tout ce que cette fille disait était parfait. Pourtant, j'en ai rencontré des filles comme elle, elle ressemble aux autres mais sans leur ressembler. Elle est à part mais comme les autres. Ce sentiment est inexplicable. Tout chez elle me convenait : de ses passions, à son caractère timide mais jovial. Sa manière de remuer les mains quand elle parle me fait sourire. Elle avait des gestes normaux, comme se recoiffer avec une main, qui me faisaient chavirer. Cette fille aimait sortir, s'amuser, faire du sport. Il n'y avait rien de particulier, de fantastique, d'incroyable chez elle. Il y avait seulement elle, avec son caractère et sa beauté. Une fille qui passerait inaperçue facilement, mais que moi j'ai remarquée. Cette fille avait toutes les qualités du monde. Qu'est ce que la perfection, si elle n'est pas personnifiée par cette personne ? Qu'y a t-il de plus beau au monde que ces yeux ?

Je n'avais jamais ressenti cela auparavant. Cette fille avait réussi à mettre tous mes sens en éveil. Je me sentais libéré, un homme nouveau. Deux personnes banales se ressemblant peuvent s'assembler. Je n'aurais jamais imaginé rencontrer une personne comme elle. Sa démarche était si exquise, sa respiration nullement saccadée. Un léger parfum s'évaporait d'elle, et me possédait. Maintenant qu'une petite brise s'était installée, ses cheveux flottaient délicatement au vent, ce qui renforçait son charme. Je me noyais dans ses dires, dans sa sublime logorrhée. De plus, ce dialogue me fit m'évader encore plus que lors de ma méditation, ou lors de mon écriture. Cette personne me faisait vivre un rêve éveillé. Sauf que c'était la réalité.